

Le 10 janvier 1939, alors que les « status », dix-huit mois plus tôt, avaient muté le P. Taoutel de Beyrouth à Alep, un détenu de la prison de Beit-ed-Din (Chouf, Liban), envoyait « au nom de trois cents détenus malheureux» une supplique au P. Christophe de Bonneville, Vice-Provincial: qu'on leur rendît le P. Ferdinand Taoutel:
« notre seule joie, notre consolation et notre support devant la méchanceté humaine, par son affection paternelle et son évangélisation apostolique ».
Ces quelques lignes disent tout l'essentiel de soixante années d'apostolat.
Un « cursus vitae» rapide, d'abord.
Ferdinand Taoutel, né a Alep (Syrie) le 12 septembre 1887 dans une famille
de la bourgeoisie, de rite maronite, avait quitté les siens dès L’âge de quinze ans, en l'été 1902, pour l'École apostolique de la Province de Lyon, sise alors dans la banlieue de Valence (Drôme) et transférée l'année suivante (1903) - après confiscation de la maison en vertu des décrets Combes - en Italie, à Salusolla (province de Verceil, Piémont). Il y passa en tout quatre années (1902-1906). Le réglement de l'institution, à l'époque, refusait expressément toutes vacances en famille avant l'achèvement des études. Ferdinand ne dut pas non plus retourner auprès des siens en 1906 avant d'entrer dans la vie religieuse, car l'année scolaire finissait à la Saint-Ignace et il se présente dès le 7 septembre au noviciat de Saint-Léonard-sur-mer (Angleterre). Il y passe des deux années de règle (1906- 1 908), suivies du juvénat dans la « Province de Paris », en Angleterre toujours, à Cantorbéry (1908-1910). Il retrouve ensuite l'Orient, mais en Égypte: deux années de surveillance au Collège du Caire (1910-1912), avec un enseignement d'anglais la première année, une classe de quatrième la seconde. (Il y passe les vacances de l'été 1911 en Syrie et au Liban, revoit Alep et sa famille.)
Ferdinand Taoutel, né a Alep (Syrie) le 12 septembre 1887 dans une famille
de la bourgeoisie, de rite maronite, avait quitté les siens dès L’âge de quinze ans, en l'été 1902, pour l'École apostolique de la Province de Lyon, sise alors dans la banlieue de Valence (Drôme) et transférée l'année suivante (1903) - après confiscation de la maison en vertu des décrets Combes - en Italie, à Salusolla (province de Verceil, Piémont). Il y passa en tout quatre années (1902-1906). Le réglement de l'institution, à l'époque, refusait expressément toutes vacances en famille avant l'achèvement des études. Ferdinand ne dut pas non plus retourner auprès des siens en 1906 avant d'entrer dans la vie religieuse, car l'année scolaire finissait à la Saint-Ignace et il se présente dès le 7 septembre au noviciat de Saint-Léonard-sur-mer (Angleterre). Il y passe des deux années de règle (1906- 1 908), suivies du juvénat dans la « Province de Paris », en Angleterre toujours, à Cantorbéry (1908-1910). Il retrouve ensuite l'Orient, mais en Égypte: deux années de surveillance au Collège du Caire (1910-1912), avec un enseignement d'anglais la première année, une classe de quatrième la seconde. (Il y passe les vacances de l'été 1911 en Syrie et au Liban, revoit Alep et sa famille.)
Puis il repart achever sa formation dans les scolasticats d'exil. Il se trouve à Jersey pour sa philosophie (1912-1915) quand la mobilisation d'août 1914 en fait partir le grand nombre de ses compagnons, dont beaucoup ne reviendront pas... Suit la théologie (1915-1919) à Ore-Place près Hastings, dans une maison elle aussi aux trois quarts vide... Il y est ordonné prêtre le 1er mai 1918, loin des siens, sans courrier aucun... Son « troisième an» fait à Paray-le-Monial (1919-1920), - en même temps que le P. Rigoulet (supra, p. 60), - il regagne l'Orient: une année encore au Collège du Caire (1920- 1921) où il émet ses derniers vœux le 2 février 1921 et enfin, l'été suivant, le Liban et la Syrie, pour un demi-siècle et plus.
D'abord responsable des écoles (de la Résidence et des villages de la région) et d'œuvres diverses à Bikfaya (1921-1923), Zahlé (1923-1926), Tanaël (1926-1927), il est envoyé à Beyrouth (1927-1937) comme « operarius» essentiellement, mais avec aussi un enseignement d'arabe au Collège et l'administration du fonds arabe de la Bibliothèque Orientale. Suit l'unique séjour durable de sa vie dans sa ville natale d'Alep (1937-1947). Puis Beyrouth à nouveau, pour vingt-sept ans (1947-1974) et trois ans de déclin à l'infirmerie de Jamhour (1974-1977).
La supplique citée plus haut le rappelle: une caractéristique du P. Taoutel
a toujours été l'affection vraiment paternelle envers tous les délaissés, les petits, les orphelins, les pauvres, les malades, les prisonniers... Lui transmettant, à l'occasion de son soixantième anniversaire de vie religieuse, la bénédiction du T. R. P. Général, le P. Abdallah Dagher, alors Provincial, énumère
D'abord responsable des écoles (de la Résidence et des villages de la région) et d'œuvres diverses à Bikfaya (1921-1923), Zahlé (1923-1926), Tanaël (1926-1927), il est envoyé à Beyrouth (1927-1937) comme « operarius» essentiellement, mais avec aussi un enseignement d'arabe au Collège et l'administration du fonds arabe de la Bibliothèque Orientale. Suit l'unique séjour durable de sa vie dans sa ville natale d'Alep (1937-1947). Puis Beyrouth à nouveau, pour vingt-sept ans (1947-1974) et trois ans de déclin à l'infirmerie de Jamhour (1974-1977).
La supplique citée plus haut le rappelle: une caractéristique du P. Taoutel
a toujours été l'affection vraiment paternelle envers tous les délaissés, les petits, les orphelins, les pauvres, les malades, les prisonniers... Lui transmettant, à l'occasion de son soixantième anniversaire de vie religieuse, la bénédiction du T. R. P. Général, le P. Abdallah Dagher, alors Provincial, énumère
« les longues courses apostoliques qui ont abouti à la fondation de la maison du Bon Pasteur, à l'établissement d'une aumônerie des prisons efficace, à des traditions de charité sociale dans la Congrégation des ouvriers, au ministère plus discret auprès des malades et des hôpitaux, à tant de liens de dialogue établis avec les orthodoxes, les protestants et les musulmans...»
Il faudrait reprendre et développer chacun de ces termes...
Le Liban doit en effet au P. Taoutel des institutions stables et qui lui survivront. Ému lors de son premier séjour à Beyrouth par l'abandon moral de jeunes filles perdues dans la ville, il obtint de Mgr Frédien Giannini, Délégué apostolique, la mission de mener à ce sujet une enquête précise et de chercher le remède... Ce travail aboutit à faire confier aux religieuses du Bon Pasteur d'Angers la fondation à Dékouané, dans la banlieue de Beyrouth, d'un refuge et d'une maison pour mères célibataires, œuvres pour lesquelles les religieuses et le père eurent à affronter bien des préjugés.
Nommé, à sa demande, aumônier de la prison «des Sables », il l'avait trouvée dans un état pitoyable, les prisonniers croupissant dans l'oisiveté, toutes catégories mêlées, les adolescents parmi les adultes... Ses instances réitérées, ses démarches inlassables, eurent raison des mauvaises volontés et des routines: des ateliers furent créés et l'on finit par regrouper les jeunes en un quartier spécial en attendant l'ouverture d'une maison de rééducation... C'est aux « Sables» que le père eut plus d'une fois à assister des malheureux au moment le plus tragique, les accompagnant au pied même de la potence... Il fit beaucoup aussi pour les prisons de province: cette notice s'ouvre sur une lettre de celle de Beit-ed-Dîn, qu'il visitait assidûment, elle et les autres...

dessin du père Taoutel fait par le père Desportes s.j. en 1963
Dans les contacts quotidiens, avec la distribution de petits cadeaux, de tabac, c'est sa bonne humeur rayonnante qui attirait la sympathie des plus moroses. Il avait mis en musique les commandements de Dieu sur un air populaire libanais et les faisait répéter, sans crainte de se donner en spectacle.

prison des sables en 1932
Il faut dire que cela ne le gênait aucunement. Il était inconfusible et forçait même la note d'originalité s'il pensait en tirer un bien. Il était une fois, dit-on, monté en chaire en poussant le long cri du rétameur dans les rues, « Mbaaayed », pour inviter ensuite l'auditoire médusé à soigneusement récurer sa conscience...

quartier de la quarantaine en 1924
Rien ne pouvait le faire taire quand il s'agissait de défendre une cause juste,
le droit, la liberté... Dans les remous de la fin du mandat français en Syrie, on le vit tenir tête le 29 juin 1945 à une bande en armes qui envahissait la Résidence d'Alep avec des cris de mort contre le Supérieur, le P. Victor Pruvot (1900- 1 969) ; six mois plus tard, le 10 janvier 1946, a Alep encore, comme la police, non contente de fermer l'École des sœurs des Saints-Cœurs, prétendait interdire l'accès de leur chapelle aux femmes de la Congrégation, il avait harangué la foule, réclamé - et obtenu - la liberté d'entrer, en des termes qui firent sensation...

Directeur pendant dix-huit ans (1947-1965) de la Congrégation Notre-Dame des Sept-Douleurs - dont il organisa en 1964 les fêtes jubilaires et publia
le «Livre d'or» (1863-1963 - «Nouvelles », no 20, p. 9) -, il sut comme nous
l'avons lu dans le texte du P. Dagher, lui donner des traditions de charité sociale efficace, alors que la menaçait un certain embourgeoisement, les tâcherons illettrés, prolétaires, voire miséreux du temps du P. Fiorovich (1819-1898) ayant cédé la place a des artisans, des employés: visites aux prisons, recherche de malades, de vieillards à visiter régulièrement, à secourir au besoin...
« Visiteur assidu des hôpitaux » Quand le grand âge eut mis fin à tous ses autres ministères, il en continua la tournée - au grand risque de se faire écraser dans les rues qu'il traversait de sa marche de semi-invalide. Une note de lui énumère les visites régulières faites jusqu'en novembre 1967 (à l'âge de quatre vingts ans!) dans des maisons dépourvues d'aumônier catholique: «L'hôpital américain le samedi; Saint-Georges des orthodoxes le mercredi; les Makassed (hôpital musulman) le lundi; la Quarantaine (hôpital officiel), deux fois par mois; Asfourié (maladies mentales, œuvre protestante), une fois par mois; Baabda (hôpital officiel, dans la grande banlieue), une fois par mois. Contact rapide avec tous les malades, distribution de l'Eucharistie...»
.jpg)
entretien avec un condamné à mort, le 16 avril 1959.
Il n'admettait pas que la pauvreté, le malheur familial pussent exclure des
enfants d'une joie... Quand un cirque passait par Beyrouth ou qu'un «Luna
Park» y dressait ses manèges, il n'avait de cesse qu'il n'eut obtenu une séance, une demi-journée de jeux gratuits pour les orphelinats de la ville, de toutes communautés, musulmans aussi bien que chrétiens...
Il avait eu toujours le souci des relations islamo-chrétiennes. Il eut même
voulu découvrir aux environs de Beyrouth une grotte, y établir un culte des
«Sept dormants» d'Éphèse, sous prétexte que des légendes semblables figurent dans des «actes» chrétiens (apocryphes et sans fondement aucun!) et dans le Coran !... Aussi bien était-il fameux pour son imagination toujours en ébullition: il lui fallait de l'audacieux, de l'insolite... Mais une obéissance d'enfant le faisait renoncer à tous ses projets dès que les Supérieurs avaient dit ne pas les approuver.
Enfant très fidèle de la Compagnie. De la Compagnie du passé, vivant de ses souvenirs, se référant aux usages de Jersey en 1912 quand on s'interrogeait sur les problèmes de 1970... Mais enfant également, en dépit de son âge, de la communauté ou il vivait. «Je me rappelle, dit l'infirmier, le F. Louis Labry, qu'il y a cinq ou six ans il fut atteint de crises douloureuses qui le rendaient totalement impotent. Il fallut l'hospitaliser au Christ-Roi, maison spécialement aménagée pour le service des vieillards. Il accepta par obéissance, mais dès qu'il commença d'aller mieux il fut si peiné de se trouver loin de sa communauté - malgré le milieu entièrement ecclésiastique ou il se trouvait -, que le chagrin le rendit réellement et gravement malade... L'état de ses jambes s'étant amélioré, on put le ramener à l'Université. Il en fut fou de joie, d'une gaieté exubérante, manifestée à longueur de journées, qui contribua grandement à son retour à un meilleur état de santé... »

Il faut, avant de conclure, rappeler un dernier aspect de son travail. Il avait la passion des vieux papiers et a publié dans le Machreq quantité de documents, savoureux au dire des connaisseurs, sur le passé d'Alep aux XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles. Cela ne va pas sans quelque naïveté, quand l'intitulé «par le P. Ferdinand Taoutel, jésuite», court à chaque page au-dessus d'un texte qui reproduit, sans une note ni le moindre travail d'apparat critique (le manuscrit étant unique), le «diaire de la congrégation des célibataires d'Alep» ou les étonnements de deux moines maronites partis quêter dans la France de Louis XV. (Il avait entrepris de traduire leur récit, mais n'en put venir à bout). Il n'en a pis moins réalisé un travail de grande importance, dont il eut l'initiative - accueillie de beaucoup de fraternelles plaisanteries -, et qu'il sut mener à bien: la seconde partie, historique et géographique, du dictionnaire « al-Mounged» (l'équivalent du « Petit Larousse» pour la langue arabe) dont le premier auteur, le P. Louis Maalouf (1869-1946) n'avait rédigé que la partie linguistique. Le P. Dagher lui rappelle, à la suite du texte déjà cité, comme il fut « pour les réviseurs secrets du Mounged l'auteur le plus conciliant et le plus facile, et pour celui qui était le trait d'union entre eux et vous la victime la plus souriante et la plus soumise, inconfusible, pleine d'entrain, acceptant toutes les tyrannies et recommençant le lendemain avec le même entrain et la même vigueur ».

Les dernières années n'ont pas été sans épreuves. La démolition des vieux
bâtiments de l'Université en 1974, l'installation provisoire dans une maison
toute en étages, avaient contraint à envoyer le père à Jamhour. L'année suivante, la guerre rendait les communications avec Beyrouth difficiles, dangereuses, parfois impossibles, le privant des visites de ses fidèles de la Congrégation, de son neveu M. Rizkallah Taoutel (professeur au Collège mais responsable alors de la section d'Achrafié-supra) et de la famille de celui-ci.

Rizkallah Taoutel
Il souffrait aussi physiquement et ne pouvait plus guère se déplacer. Mais il l'acceptait de bon cœur, et ne se lassait pas de répéter son oraison jaculatoire préférée:
Le Liban doit en effet au P. Taoutel des institutions stables et qui lui survivront. Ému lors de son premier séjour à Beyrouth par l'abandon moral de jeunes filles perdues dans la ville, il obtint de Mgr Frédien Giannini, Délégué apostolique, la mission de mener à ce sujet une enquête précise et de chercher le remède... Ce travail aboutit à faire confier aux religieuses du Bon Pasteur d'Angers la fondation à Dékouané, dans la banlieue de Beyrouth, d'un refuge et d'une maison pour mères célibataires, œuvres pour lesquelles les religieuses et le père eurent à affronter bien des préjugés.
Nommé, à sa demande, aumônier de la prison «des Sables », il l'avait trouvée dans un état pitoyable, les prisonniers croupissant dans l'oisiveté, toutes catégories mêlées, les adolescents parmi les adultes... Ses instances réitérées, ses démarches inlassables, eurent raison des mauvaises volontés et des routines: des ateliers furent créés et l'on finit par regrouper les jeunes en un quartier spécial en attendant l'ouverture d'une maison de rééducation... C'est aux « Sables» que le père eut plus d'une fois à assister des malheureux au moment le plus tragique, les accompagnant au pied même de la potence... Il fit beaucoup aussi pour les prisons de province: cette notice s'ouvre sur une lettre de celle de Beit-ed-Dîn, qu'il visitait assidûment, elle et les autres...

dessin du père Taoutel fait par le père Desportes s.j. en 1963
Dans les contacts quotidiens, avec la distribution de petits cadeaux, de tabac, c'est sa bonne humeur rayonnante qui attirait la sympathie des plus moroses. Il avait mis en musique les commandements de Dieu sur un air populaire libanais et les faisait répéter, sans crainte de se donner en spectacle.

prison des sables en 1932
Il faut dire que cela ne le gênait aucunement. Il était inconfusible et forçait même la note d'originalité s'il pensait en tirer un bien. Il était une fois, dit-on, monté en chaire en poussant le long cri du rétameur dans les rues, « Mbaaayed », pour inviter ensuite l'auditoire médusé à soigneusement récurer sa conscience...

quartier de la quarantaine en 1924
Rien ne pouvait le faire taire quand il s'agissait de défendre une cause juste,
le droit, la liberté... Dans les remous de la fin du mandat français en Syrie, on le vit tenir tête le 29 juin 1945 à une bande en armes qui envahissait la Résidence d'Alep avec des cris de mort contre le Supérieur, le P. Victor Pruvot (1900- 1 969) ; six mois plus tard, le 10 janvier 1946, a Alep encore, comme la police, non contente de fermer l'École des sœurs des Saints-Cœurs, prétendait interdire l'accès de leur chapelle aux femmes de la Congrégation, il avait harangué la foule, réclamé - et obtenu - la liberté d'entrer, en des termes qui firent sensation...

Directeur pendant dix-huit ans (1947-1965) de la Congrégation Notre-Dame des Sept-Douleurs - dont il organisa en 1964 les fêtes jubilaires et publia
le «Livre d'or» (1863-1963 - «Nouvelles », no 20, p. 9) -, il sut comme nous
l'avons lu dans le texte du P. Dagher, lui donner des traditions de charité sociale efficace, alors que la menaçait un certain embourgeoisement, les tâcherons illettrés, prolétaires, voire miséreux du temps du P. Fiorovich (1819-1898) ayant cédé la place a des artisans, des employés: visites aux prisons, recherche de malades, de vieillards à visiter régulièrement, à secourir au besoin...
« Visiteur assidu des hôpitaux » Quand le grand âge eut mis fin à tous ses autres ministères, il en continua la tournée - au grand risque de se faire écraser dans les rues qu'il traversait de sa marche de semi-invalide. Une note de lui énumère les visites régulières faites jusqu'en novembre 1967 (à l'âge de quatre vingts ans!) dans des maisons dépourvues d'aumônier catholique: «L'hôpital américain le samedi; Saint-Georges des orthodoxes le mercredi; les Makassed (hôpital musulman) le lundi; la Quarantaine (hôpital officiel), deux fois par mois; Asfourié (maladies mentales, œuvre protestante), une fois par mois; Baabda (hôpital officiel, dans la grande banlieue), une fois par mois. Contact rapide avec tous les malades, distribution de l'Eucharistie...»
.jpg)
entretien avec un condamné à mort, le 16 avril 1959.
Il n'admettait pas que la pauvreté, le malheur familial pussent exclure des
enfants d'une joie... Quand un cirque passait par Beyrouth ou qu'un «Luna
Park» y dressait ses manèges, il n'avait de cesse qu'il n'eut obtenu une séance, une demi-journée de jeux gratuits pour les orphelinats de la ville, de toutes communautés, musulmans aussi bien que chrétiens...
Il avait eu toujours le souci des relations islamo-chrétiennes. Il eut même
voulu découvrir aux environs de Beyrouth une grotte, y établir un culte des
«Sept dormants» d'Éphèse, sous prétexte que des légendes semblables figurent dans des «actes» chrétiens (apocryphes et sans fondement aucun!) et dans le Coran !... Aussi bien était-il fameux pour son imagination toujours en ébullition: il lui fallait de l'audacieux, de l'insolite... Mais une obéissance d'enfant le faisait renoncer à tous ses projets dès que les Supérieurs avaient dit ne pas les approuver.
Enfant très fidèle de la Compagnie. De la Compagnie du passé, vivant de ses souvenirs, se référant aux usages de Jersey en 1912 quand on s'interrogeait sur les problèmes de 1970... Mais enfant également, en dépit de son âge, de la communauté ou il vivait. «Je me rappelle, dit l'infirmier, le F. Louis Labry, qu'il y a cinq ou six ans il fut atteint de crises douloureuses qui le rendaient totalement impotent. Il fallut l'hospitaliser au Christ-Roi, maison spécialement aménagée pour le service des vieillards. Il accepta par obéissance, mais dès qu'il commença d'aller mieux il fut si peiné de se trouver loin de sa communauté - malgré le milieu entièrement ecclésiastique ou il se trouvait -, que le chagrin le rendit réellement et gravement malade... L'état de ses jambes s'étant amélioré, on put le ramener à l'Université. Il en fut fou de joie, d'une gaieté exubérante, manifestée à longueur de journées, qui contribua grandement à son retour à un meilleur état de santé... »

Il faut, avant de conclure, rappeler un dernier aspect de son travail. Il avait la passion des vieux papiers et a publié dans le Machreq quantité de documents, savoureux au dire des connaisseurs, sur le passé d'Alep aux XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles. Cela ne va pas sans quelque naïveté, quand l'intitulé «par le P. Ferdinand Taoutel, jésuite», court à chaque page au-dessus d'un texte qui reproduit, sans une note ni le moindre travail d'apparat critique (le manuscrit étant unique), le «diaire de la congrégation des célibataires d'Alep» ou les étonnements de deux moines maronites partis quêter dans la France de Louis XV. (Il avait entrepris de traduire leur récit, mais n'en put venir à bout). Il n'en a pis moins réalisé un travail de grande importance, dont il eut l'initiative - accueillie de beaucoup de fraternelles plaisanteries -, et qu'il sut mener à bien: la seconde partie, historique et géographique, du dictionnaire « al-Mounged» (l'équivalent du « Petit Larousse» pour la langue arabe) dont le premier auteur, le P. Louis Maalouf (1869-1946) n'avait rédigé que la partie linguistique. Le P. Dagher lui rappelle, à la suite du texte déjà cité, comme il fut « pour les réviseurs secrets du Mounged l'auteur le plus conciliant et le plus facile, et pour celui qui était le trait d'union entre eux et vous la victime la plus souriante et la plus soumise, inconfusible, pleine d'entrain, acceptant toutes les tyrannies et recommençant le lendemain avec le même entrain et la même vigueur ».

Les dernières années n'ont pas été sans épreuves. La démolition des vieux
bâtiments de l'Université en 1974, l'installation provisoire dans une maison
toute en étages, avaient contraint à envoyer le père à Jamhour. L'année suivante, la guerre rendait les communications avec Beyrouth difficiles, dangereuses, parfois impossibles, le privant des visites de ses fidèles de la Congrégation, de son neveu M. Rizkallah Taoutel (professeur au Collège mais responsable alors de la section d'Achrafié-supra) et de la famille de celui-ci.

Rizkallah Taoutel
Il souffrait aussi physiquement et ne pouvait plus guère se déplacer. Mais il l'acceptait de bon cœur, et ne se lassait pas de répéter son oraison jaculatoire préférée:
« Cœur sacré de jésus, j'ai confiance en vous! »
« Il aimait, note un de ses compagnons des dernières années, s'entretenir avec moi de choses spirituelles, surtout de sujets invitant à la confiance en Dieu. Il avait dit un jour: "J'ai peut-être fait, ou je pourrai faire des bêtises; je ne ferai pas la bêtise de manquer de confiance en Dieu". »
Il est mort paisiblement le 22 mai 1977, âgé d'un peu moins de quatre-vingt-dix ans. La congrégation Notre-Dame des Sept-Douleurs assistait en corps à ses obsèques, au cours desquelles le P. Dagher prêcha sur l'évangile que l'on venait de lire, celui du Jugement dernier: «J'étais malade... j'étais en prison... et vous êtes venus jusqu'à moi... Ce que vous avez fait au plus petit parmi mes frères, c'est à Moi que vous l'avez fait.»
Il est mort paisiblement le 22 mai 1977, âgé d'un peu moins de quatre-vingt-dix ans. La congrégation Notre-Dame des Sept-Douleurs assistait en corps à ses obsèques, au cours desquelles le P. Dagher prêcha sur l'évangile que l'on venait de lire, celui du Jugement dernier: «J'étais malade... j'étais en prison... et vous êtes venus jusqu'à moi... Ce que vous avez fait au plus petit parmi mes frères, c'est à Moi que vous l'avez fait.»
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